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Les choses n’allèrent pas si loin : ce fut à peine si j’échangeai quelques coups de poing avec Frédéric Lambert, qui, d’ailleurs, aurait trouvé sans cela d’autres raisons pour me chercher noise. J’eus en échange la joie de voir plus souvent ma marraine. Pendant les leçons, qui se donnaient dans le grand hall que je t’ai décrit, elle venait, souple et lente, dans sa robe noire. Je l’attendais. Je devinais son pas léger dans le vestibule, je tournais la tête avant qu’elle eût ouvert la porte. Elle me saluait d’un sourire douloureux, pareil à un pâle rayon dans un ciel de pluie.

— Eh bien, demandait-elle, fait-on des progrès ?

Je sentais la caresse légère de ses lèvres qui effleuraient mes cheveux, de sa main qui tapotait ma joue. Miss Jenny répondait, avec son accent qui me donnait toujours envie de rire :

— Philippe est souvent distrait.

La voix douce me grondait un peu :

— Oh ! Philippe !…

Ce simple reproche me faisait monter des larmes aux yeux ; mais je les refoulais, et coulais un mauvais regard du côté de miss Jenny : car je la détestais pour sa persévérance à me rabaisser devant ma marraine. Celle-ci, cependant, s’approchait d’Anthony, le caressait un instant d’un regard d’amour, se penchait sur ses cahiers, en épelait une ou deux phrases,