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Je ne l’ai jamais su, — bien que, plus tard, j’aie souvent calculé l’ennui de leurs longues journées monotones, toutes pareilles, remplies par la peur sourde des dangers inconnus du dehors, par l’effroi de cette universelle réprobation qui enveloppait comme une nuée l’antique demeure, ou coupées de temps en temps par les éclats de colère du colonel qui s’exaspérait dans le vide. Il y eut là, sans doute, un drame de désolation, de révolte impuissante, d’ennui désespéré, d’indignation vaine qui tenterait peut-être ta plume de romancier. Pour moi, je ne puis qu’en soulever le voile, en te rapportant quelques-uns des incidents dont j’ai conservé la mémoire.

C’est d’abord, par un jour de neige, une sortie de l’école : cinq ou six gamins en gaieté, joyeux de toute la blancheur éparse autour d’eux, excités par le grand bonhomme qu’ils ont dressé dans la cour du collège, avec un ventre énorme, des jambes comme des colonnes, une grosse tête ronde, une pipe et des lunettes. Nous courons, nos cris ébranlent le silence des rues où de rares passants glissent en soufflant dans leurs doigts, quand, tout à coup, notre bande folle aperçoit le petit Anthony des Pleiges… Il attend la femme de chambre qui le promène et l’a quitté un instant pour entrer dans quelque boutique ; tout frissonnant dans son pardes-