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J’ai de bons amis qui ont juré de n’y pas remettre les pieds : je finirais par les perdre. J’aime mieux me rapprocher d’eux. D’autant plus que là-bas, chère madame, on ne tient guère à moi : je suis une vieille tante inutile dont on ne regrettera guère d’être débarrassé !

Je crois que ma pauvre mère aurait bien voulu lui répondre : mais telle était sa faiblesse, qu’elle n’aurait jamais osé la contredire ; elle se contentait donc de balbutier, sans conviction :

— Oui, oui…, sans doute…, c’est bien naturel…

C’est ainsi qu’en une saison, le personnel du château se transforma : au lieu des vieilles figures connues, des serviteurs qui participaient d’un peu de la considération qu’on avait pour leurs anciens maîtres, on en vit arriver de nouveaux, qui venaient de loin, comme les avocats, les avoués, les gens d’affaires. On leur trouva des mines louches, des allures fourbes. On regrettait « ce pauvre M. Joseph, qui était si comme il faut ». Des bouches amères lancèrent l’adage :

— Tel maître, tel valet !

Que se passait-il, cependant, dans cette grande habitation triste, derrière ces murs épais qu’assiégeaient des ennemis invisibles, plus dangereux que les reîtres et les arbalétriers d’autrefois, entre ces trois êtres isolés, séparés du reste du monde ?