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mes maîtres ; mais cela, je ne peux pas, c’est trop pénible ! Cela me rend malheureux comme si j’avais du remords.

Mon père plaida du mieux qu’il put la cause des abandonnés ; et Joseph revint sur sa décision. Puis, après les autres, il finit par disparaître aussi : l’on sut qu’il s’était enfui sans rien dire, sans même réclamer ses gages, comme un soldat qui déserte.

Ce qui fit plus de bruit encore que le départ des domestiques, ce fut celui de Mlle  Éléonore, qui se réfugia chez Mme  d’Ormoise, avant de s’installer à son compte. La vieille demoiselle parlait à peu près comme Joseph, mais avec âpreté et malveillance. J’assistai à l’entretien qu’elle eut avec ma mère : de mauvaises paroles, dont je devinai, plutôt que je ne les comprenais, les cruelles intentions, s’échappèrent de sa bouche mince, dont les coins tombaient :

— Mon Dieu ! disait-elle à peu près, je ne crois pas que ma nièce ait fait tout le mal dont on l’accuse. Oh ! non ! Mais, enfin, il n’y a pas de fumée sans feu, n’est-ce pas, madame ? D’ailleurs, si elle n’avait rien à se reprocher, est-ce qu’elle s’inclinerait ainsi devant l’opinion publique ? Je ne me suis jamais tout à fait accordée avec elle. À présent que j’ai perdu tous ceux que j’aimais et qui m’aimaient, pourquoi resterais-je au château ?