Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.


V


Sans doute, ce projet de départ, qui me mettait si fort en peine, était plus facile à concevoir dans un moment de colère qu’à exécuter, car il ne se réalisa pas. L’hiver passa sans amener aucun changement. Debout dans la neige, le château conservait son air de léproserie. L’un après l’autre, les vieux domestiques blanchis au service de la famille s’en allèrent : l’espèce d’interdit qui pesait sur leurs maîtres, et dont ils participaient, leur devenait intolérable. Joseph, le valet de chambre, dont je revois dans mes souvenirs la tête vénérable, dont j’entends la voix chevrotante, vint expliquer ses raisons à mon père :

— Ce n’est pas que Mme  la comtesse soit méchante, arguait-il, ni que j’aie rien à lui reprocher. Oh ! certes pas, bien au contraire ! Mais, que voulez-vous, monsieur le docteur, je ne peux pas supporter cette espèce de malédiction qui pèse sur nous ! Je me ferais volontiers tuer pour