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TRAGICOMEDIE

En Rages la cité, i’ay ſa cedule au coffre,
Ie te la veus donner afin que tu luy offre
Pour r’avoir ceſt argent, qui nous faict grand beſoin.
Aſſure toy pourtant, ſi nous avons bon ſoin
De prier le Seigneur, qu’il ne ſera point chiche :
Sa liberalle main te fera bien toſt riche :
Va doncques, mon enfant, de Dieu ſois tu Beniſt ;
Voila tous les propos que mon pere me diſt.
De bonheur i’ay trouvé ce compagnon & frere
Qui m’a conduit icy, par ſon moyen i’eſpere
De recouvrer bien toſt cet argent qui m’est dû.

Raguel.

Ie croy bien qu’auſſi toſt qu’il te ſera rendu,
Tu auras grand deſir de contenter la vüe
Du bon homme ton pere ?

Tobie.

Helas ! ce mot me tüe :
Mon pere ne voit point la lumiere des cieux.

Raguel.

Comment, eſt-il priué de l’uſage des yeux ?

Tobie.

Ah ! mon Dieu ouy du tout.

Raguel.

O dommageable perte !
Si la vuë ne peut luy eſtre recouverte,
En vain donc le soleil eſlance ſes beaux rais
Sur les yeux de mon frere, he que je me deſplais
De ſon triſte malheur vn point me reconforte :
Si ſon corps eſt trop foible, il a une ame forte.