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la capricieuse fortune m’ait séparé de toi, je ne t’ai point oublié ; je te vois encore, grand, élancé, portant sur ta jolie figure la franchise et la bonté ; je crois être encore le témoin des scènes qui prenaient leur naissance dans l’impétuosité de ton caractère bon, mais violent ; ami chaud, mais peu discret, tu ne savais ni garder le silence, ni punir ceux qui t’avaient offensé, lorsque ta tête moins échauffée ne s’abandonnait plus à ta fougue. J’admire ton goût pour la chasse ; je t’écoute, me racontant les exploits de ton chien, et les tiens même ; que de fois le sort t’a contrarié ! ici la perdrix sautillante fût tombée sous tes coups, si le buisson voisin ne l’eût sauvée ; le plomb eût atteint le lièvre rapide, sans une motte de terre qui s’écrasa sous ton pied. Je me vois moi, chasseur indigne, mais me plaisant avec toi, courir les champs, portant un immense filet, la terreur des cailles ; nos récits, nos gais souvenirs égayent notre marche ; nous rions, nous crions, le gibier part, tu me grondes, et puis nous tenant par la main, assis au pied d’un saule qui s’élève sur les bords d’un ruisseau argenté, nous causons du passé. Le temps s’écoule, la chasse est oubliée, mais deux amis sont ensemble, ils ne peuvent s’occuper que d’eux mutuellement.

Après Charles, Urbain fut ma seconde connaissance. Urbain, dans sa jeunesse, dissimulé par goût, menteur par habitude, adroit comme une fée, chérissant ses amis et dupe