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aristocrate. Les jacobins, furieux de voir qu’une femme ne tremblait pas devant eux, résolurent de punir ce qu’ils appelaient son audace.

Un après-dîner, vêtue modestement, et ensevelie sous les voiles de deuil qui la rendaient plus belle, ma mère allait au département solliciter les administrateurs ; tout à coup une foule immense, furieuse, égarée, se précipite autour d’elle ; on l’injurie, elle ne répond point. Quelques hommes, revêtus d’un uniforme qu’ils souillaient, osent porter sur elle leurs mains sanglantes ; on l’arrête, on s’empare de ses mains, et mille voix lui commandent de crier vive la République ! — Assassins de mon époux, leur répond-elle avec fermeté, hâtez-vous de me rejoindre à lui ? Crie vive la République, lui dit-on de nouveau. — Vive le roi ! s’écria-t-elle ; frappez, je meurs pour lui. Elle se dégage, tombe à genoux, et tend sa gorge au coup dont elle est menacée ! Pouvoir irrésistible de la beauté et de la vertu, la rage des forcenés est comme suspendue ; ils admirent cette femme si belle et si courageuse, se dévouant à une mort certaine ; leur fureur expire, le fer tombe de leurs mains, et c’est sans éprouver de résistance qu’un officier municipal, honnête homme, parvient à la dégager d’un pareil danger.


Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, vignette fin de chapitre
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