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que tu vengeras ton père ? promets-le-moi, mon enfant, et je serai moins à plaindre… Nous ne le reverrons plus !… Ah Dieu ! Et l’infortunée retombe dans les accès de son désespoir.

J’étais bien jeune alors, mais ma douleur n’en était pas moins amère ; mon cœur oppressé souffrait horriblement. Penché sur le sein de la comtesse, mes yeux lui offraient quelques consolations. Je le fis, le terrible serment qu’elle exigea, et l’atroce président du tribunal éprouva les justes effets de mon courroux, quand l’âge… mais n’anticipons pas. Quelques jours après, le bon soldat demanda à ma nourrice, qui ne nous avait jamais quittés, s’il ne pourrait pas me voir ; elle y consentit, et le militaire remplissant fidèlement la parole qu’il avait donnée à mon père, me remit le dernier et religieux présent de l’auteur de mes jours… il ne m’a jamais quitté !… Après une longue maladie, madame d’Oransai recouvra la santé ; quoique bien faible encore, elle voulut se donner des soins pour me faire rentrer dans quelque partie de la fortune que l’on m’avait injustement ravie. Pendant qu’elle faisait les démarches nécessaires, l’enthousiasme anarchique était porté à son comble ; les femmes elles-mêmes, perdant toute pudeur, oubliant leur sexe, vociféraient dans les clubs, ou égorgeaient aux portes des prisons. Depuis longtemps madame d’Oransai était signalée par les mégères comme une chaude