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Ah ! que ne suivait-il ce conseil ! je n’aurais pas à le pleurer, ce père aimable et vertueux ; mais il ne pouvait croire à l’étendue de la férocité des monstres auxquels, à cette époque, la France était en proie. Ma mère, par un courage au-dessus de son sexe, osa porter le deuil de l’infortuné Louis XVI ; elle brava toujours les assassins, et son amour pour la famille de ses rois lui mérita l’estime même des brigands.

Contraint de se rendre à sa municipalité, mon père est accosté par un membre du comité, son ancien ami, qui s’avançant vers lui : — D’Oransai, lui dit-il, j’ai ordre de vous arrêter, et vous m’épargnez la peine d’aller vous chercher chez vous. L’infâme !… Par la plus odieuse des trahisons, le comte est traîné dans la prison fatale dont on ne sortait que pour aller à la mort. En apprenant l’arrestation de son époux, madame d’Oransai tombe évanouie ; puis reprenant sa fermeté, elle cherche à le sauver : l’argent, la séduction, les courses, les promesses, les sollicitations, rien n’est épargné ; elle obtient enfin la permission de voir M. d’Oransai. Quelle entrevue ! Combien elle fut touchante !…

— Ô mon ami ! disait madame d’Oransai, tu peux échapper au supplice qui te menace ; prends ce déguisement, et sous un vil costume, sauve-toi ; je resterai ici, je prendrai ta place s’il le faut : conserve un père à ton enfant, vis pour lui, et je mourrai heureuse.