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vue, l’odorat, le goût, tous les sens étaient excités ; mais j’aperçus Sophie, et je ne m’occupai plus que d’elle.

Sophie avait les yeux brillants, quoique petits ; une mine chiffonnée, un joli petit pied, un tempérament de feu, quelque babil, mais point d’âme, telle enfin qu’il le faut pour faire parler le désir et faire taire l’amour. Comme à treize ans on ne raisonne point aussi profondément, Sophie me charma : me voilà tout occupé à lui offrir cérémonieusement des fruits par-dessus la table, et à lui toucher le pied par-dessous : sans trop se défendre, Sophie finit par me répondre. Le repas terminé, je me hâte de lui offrir mon bras, et de passer dans une allée voisine. Là, je fais ma déclaration dans les formes, elle réplique comme je l’entendais, mais par ces mots elle termina son discours : — Contraignons-nous devant papa, car il serait assez ridicule pour s’en fâcher. Et Sophie avait quatorze ans lorsqu’elle me tint un pareil propos. Après quelques baisers, et mille promesses, nous nous séparâmes. J’employai, pour la voir, des ruses que me suggérait ma tête montée à l’intrigue ; pendant deux ou trois mois le succès couronna mes travaux. Tantôt, sous le spécieux prétexte d’une expérience de fantasmagorie, je paraissais chez elle ; tantôt ses frères, devenus mes amis, m’attiraient avec eux. Tout allait fort bien ; mais un jour le papa nous ayant surpris ensemble, il me fallut partir.