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tes beaux yeux, ta polissonnerie enfantine, et même le grand soufflet que tu me donnas pour m’avoir surpris embrassant une de tes compagnes. Dans cette sainte maison je te connus aussi, Euphrosine ; mais tu ne dois point paraître sur la scène, le jour viendra où je saurai te faire rejouer le rôle que tu y as rempli. Et toi, t’oublierai-je aussi, toi, séduisante Polli, qui comptais dix-neuf ans lorsque j’entrais à peine dans ma treizième année ? tu me déclaras ton petit chevalier. Hélas ! je l’étais pour la forme, tandis que des plus grands… Devais-je me plaindre ? Ah ! comme je t’aimais avec passion ! comme j’étais jaloux avec fureur ! Tu ne te gênais pas devant moi ; je voyais tout, et mon cœur impétueux se gonflait de désir et de colère.

La première aventure un peu remarquable que j’ai eue dans ce bienheureux temps, fut celle que je vais rapporter. Madame de Mercourt, mère de mon bon ami Charles, m’avait invité à un grand goûter, auquel je me rendis avec exactitude ; le printemps venait de renaître : le léger zéphyr, par la douce chaleur de son souffle, avait ranimé la nature ; le chèvrefeuille odoriférant, la rose embaumée, s’élevant en immenses buissons, couvraient un cabinet de treillage sous lequel une table amplement servie nous offrait les prémices de la saison, des laitages, des pièces froides ; dans de riches carafes brillaient des vins aux diverses couleurs ; la