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quelques mois, parlait plus impétueusement à mon imagination. Ne croyez pas que Jenni Dastin fût une grande dame : c’était une simple couturière, bien fraîche, bien jolie, faite à peindre, et des sens… Ah !… dans un âge plus avancé, j’ai rendu à ses charmes le vrai culte qu’ils méritaient, ce que, trop jeune, je n’avais pu que désirer. Eh ! dois-je aussi t’oublier, infortunée Julie ? petite et grasse, les joues rosées, le teint, les yeux et les cheveux noirs, voilà ton portrait physique : tu étais née pour être aimable, pour briller dans le monde, pour y paraître avec éclat, et maintenant tu es… une fille de joie. Oui, c’est à cet état odieux et vil que le barbare père de Julie a réduit sa fille, par les mauvais traitements dont il ne cessait de l’accabler, et dont elle ne put se décider à rester toujours la victime.

Auprès de l’hôtel que j’occupais, il existait une maison d’éducation consacrée aux jeunes demoiselles ; mon âge et l’amitié qu’avait conçue pour moi le saint directeur de cet établissement, tout m’en ouvrit l’entrée. On ne se défiait point du petit Philippe : il est vrai qu’il ne pouvait pas grand chose encore, mais dès lors il jetait les bases de plusieurs intrigues qu’il dénoua lorsqu’il eut grandi.

Parmi les jeunes et jolies pensionnaires je te distinguai, ô Petré de Grenville ! à dix ans tu étais déjà coquette : j’aime à me rappeler