Page:Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, 1887.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64

m’ont toujours effrayé, j’avoue que je ne puis tirer vanité de mes talents précoces : je savais franchir des chaises qu’on mettait en travers pour m’empêcher de sortir. Un mouchoir à la main, et la larme à l’œil, je chantais la romance sentimentale de la folle Nina, je faisais des réponses qui remplissaient d’admiration ma nourrice et mes grands parents. Les amis de la maison avaient la tête remplie de mes faits et gestes, on ne parlait que de moi, et plus d’un homme raisonnable fuyait un hôtel où il fallait perpétuellement admirer le petit Philippe.

Dès l’âge de quatre ans je lisais couramment, et toujours un livre à la main, quel qu’il fût, il m’importait peu ; je m’occupais avec intérêt, soit aux malheurs des Troyens, soit aux succès des Romains, soit aux divines folies du Roland de l’Arioste. Cependant ces lectures germaient dans ma tête, mes idées se débrouillaient, et, le croirait-on ? à sept ans j’avais déjà des principes de rouerie. Dès l’instant où j’eus quelque connaissance, j’avais déjà deux amis, Urbain d’Ayrval et Charles de Mercourt. Pour compagne de nos jeux enfantins, nous avions la jeune Paulette : Paulette n’était point jolie, mais elle était bonne ; j’aimais Paulette, j’en étais aimé. Pour elle j’éprouvai de la jalousie, et déjà je concevais des ruses, des prétextes pour dérober Paulette aux regards et aux soins de mes deux amis. Ce fut dans cette douce occupation que me surprit ma huitième année ;