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sans une trop violente douleur, l’instant de leur séparation. Il arriva : le régiment reçut l’ordre de se rendre sur les frontières ; dès ce moment le bruit, le mouvement redouble dans la ville. Il faut avoir habité une ville de garnison pour se faire une juste idée de l’effet que produit le changement d’un régiment : chaque officier, chaque soldat a ses amis et sa maîtresse ; on redoute l’instant d’une séparation qui ne laisse pas espérer d’ordinaire un rapprochement bien rare. On pleure ici, là on se réjouit au sujet du rival qui s’éloigne ; les créanciers sont plus alertes que jamais ; les officiers vont faire de tendres adieux : on les reçoit la larme à l’œil, cependant à travers ces regrets perce un vague désir de connaître leurs successeurs ; on perdra peut-être au change, mais ce seront de nouveaux personnages, de nouvelles figures, et pour les Françaises la nouveauté a tant de charmes !

Le jour du départ arrive, de grand matin le tambour bat, on s’arrache des bras de l’amour ; chacun court à son rang ; élégamment vêtus, l’épée à la main, au son d’une musique militaire, tous défilent en ayant grand soin de faire passer la troupe dans les principales rues de la ville ; on reconnaît ses amis, on salue de l’épée, on étouffe un soupir ; dès qu’on a franchi les portes on respire plus gaîment, et l’on ne s’occupe plus des absents avant la couchée prochaine.