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coupables qui sont conduits devant vous. » Un des juges inférieurs répliqua : « Ce jour est celui de la justice, il faut qu’elle se signale. »

« Oh ! qui que vous soyez, m’écriai-je à mon tour, n’ayez point pour cette jeune beauté la barbarie des monstres qui nous poursuivent : de quel crime peuvent-ils la charger ! qui a pu lui mériter le trépas dont on la menace ! Ah ! s’il vous faut une victime, prenez-moi, mais sauvez, oui, sauvez Honorée. »

« Non, dit impétueusement cette fille charmante, non, je ne veux pas d’une vie que ne partagerait pas mon époux, je n’attends de vous d’autre grâce que de périr en même temps que lui. »

Ces mots m’arrachèrent des larmes que n’avait pu obtenir de moi ma triste situation ; nous nous regardâmes croyant que c’était pour la dernière fois, car le silence de nos juges ne nous semblait point annoncer quelque pitié ; Émilien élevant la voix : « Qu’attend-on, dit-il, pour prononcer l’arrêt fatal ? »

« On n’attend plus rien, dit le premier juge ; que les scélérats succombent et que les innocents soient délivrés ! »

Il disait ; soudain nos chaînes tombent, on saisit Paul et Émilien, et je vois Léopold arrachant son masque, s’élancer du tribunal et venir dans mes bras.

Quelque éloquente que fût ma plume, elle ne pourrait jamais rendre ce que tous nous éprou-