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HONORÉE.

Madame, ne nous trompez-vous point ?

CLOTILDE.

Ciel vengeur, quelle voix retentit à mon oreille ! n’est-ce point une erreur ? est-ce toi femme dont la beauté, dont les vertus ont achevé ma ruine ? sans toi, peut-être que Philippe encore… éloigne-toi, laisse-moi ; non, non, il n’est pas de tourment qui égale l’horreur que m’inspire ta vue… Mais arrête-toi, ne t’en va point, car il voudrait te suivre, et je veux m’enivrer du plaisir de le voir ; c’est peut-être pour la dernière fois ; on ne tardera pas à nous séparer pour toujours, oui, pour toujours ; après la mort nous n’habiterons pas les mêmes lieux. Savez-vous quels sont ceux qui commandent ici ? ce n’est plus le redoutable Léopold, ils disent qu’il n’est plus : c’est le vil Émilien, le méprisable Saint-Clair, c’est à de pareils monstres que nous sommes abandonnés ; je fuyais Nantes sans retour, j’allais chercher une lointaine contrée qui pût dérober aux yeux de tous, ma honte comme mes remords ; je voulais être moins malheureuse ; je partais en adorant toujours Philippe : ils ont environné ma voiture, je n’ai plus vu des amis en eux, ils m’ont conduite ici, ils m’ont annoncé la mort !… Qu’elle vienne, qu’elle vienne ! il me tarde de n’être plus.

Elle achève, son œil s’éteint, les paroles meurent dans sa bouche, elle retombe sur son