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cabinet, son épouse était sortie. Le valet de chambre dit à M. d’Oransai, qui se préparait à se retirer, que les demoiselles étaient dans le jardin. D’Oransai, empressé de les rejoindre, s’avançait à grands pas, lorsque des cris qu’il entendit hâtèrent encore sa marche. Il approche, il voit d’un coup d’œil que ces jeunes demoiselles jouant avec un batelet sur le plus grand des bassins, avaient fait chavirer la frêle nacelle, et que la charmante Élise était tombée dans l’eau. Il s’élance, saisit Élise, et la rapporte sur le bord, privée de connaissance ; la peur, et nulle autre cause l’avait fait évanouir. Mais à l’intérêt que prend d’Oransai, au trouble intérieur qu’il ressent, à son agitation, il ne peut plus méconnaître le sentiment qu’il éprouve. Il frémit d’abord, mais il se livre bientôt après au penchant irrésistible par lequel il est entraîné.

Les soins qu’on prodigue à Élise la tirent de son engourdissement ; elle ouvre les yeux, et voyant d’Oransai devant elle, elle les referme promptement. „M. Alexandre, lui dit-elle d’une voix qui fut jusqu’à son âme, je vous dois la vie.” M. Alexandre, au lieu de M. d’Oransai : oh ! comme cette nuance est sentie par celui qui aime véritablement ! on n’appelle point par le nom de naissance celui qui vous est indifférent, et jamais on ne donne à l’objet qu’on aime le nom porté par sa famille. L’étranger est d’Oransai, l’ami du cœur est Alexandre ; celui-ci, transporté, ne cherche pas à diminuer