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il était une grosse touffe de jeunes chênes, vers lesquels je me suis dirigé : de loin j’ai aperçu deux hommes vêtus en militaires : craignant de les déranger, ne voulant pas leur faire un salut qui me contrariait, j’allais prendre à gauche, quand un de ces individus se relevant, j’ai reconnu Émilien, je n’ai plus voulu me retirer : oubliant le danger que je courais en m’approchant de mon ennemi, je me suis précipité vers lui. À mon aspect le lâche s’est enfui, a sauté sur son cheval, et m’a laissé ainsi que son compagnon singulièrement étonnés de sa disparition soudaine. Je m’avançais toujours mais mon étonnement a fait place à un sentiment plus impétueux, lorsque dans l’ami d’Émilien, j’ai pu contempler un homme que depuis bien des années j’ai cherché sans succès, un vil scélérat, celui auquel je ne pardonnerai jamais, en un mot, le président du tribunal révolutionnaire qui prononça la condamnation de mon père !… Ô ! Maxime ! quelle rage, quelle satisfaction me saisirent tout à la fois ! je compris alors pourquoi l’ombre paternelle m’était naguère apparue ; je vis qu’elle m’avait conduit au lieu qui devait être le témoin de la vengeance ; je remerciai le ciel d’avoir armé mon ennemi. Pour lui, surpris de mon immobilité, de la fureur qui étincelait dans mon regard, il ne savait que penser et que faire ; il avait alors quarante-quatre ans, la pâleur de la réprobation siégeait sur