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au moment de partir, un coup d’œil rapide ralluma l’espérance qui commençait à s’éteindre dans mon cœur. Je compris ce qu’Apollonie avait refusé de me dire, et je revins au château moins triste et plus amoureux.

Pendant que mes discours, que mes regards assiégeaient le cœur de mademoiselle de Norcé, je voyais rôder autour de nous un efflanqué personnage à la mine d’une bêtise amère, ne parlant que de cœur, de sympathie, de tendresse, de gazon, de ruisseau, d’aurore, de soleil, de crépuscule, de tourterelle ; en un mot une Idylle parlante. Ce langoureux céladon, poussant des soupirs à déraciner un chêne, roulait les yeux d’une manière effrayante, et baisait dévotement le bord du châle d’Apollonie dont il s’était emparé. Il ne me fut pas difficile de concevoir quel il était, je devinai que sa flamme retenue n’importunait que par accès celle qui en était l’ennuyé objet. M. Gabriel ne me parut pas un rival redoutable, mes assiduités auprès d’Apollonie le mettaient au désespoir. Chaque matin il adressait à son infidèle une élégie, une romance ; il allait sous ses fenêtres chanter les chagrins de son cœur ; tandis que moi… Cependant Gabriel, malgré ses larmes, ses tendres reproches, était doucement éconduit ; on ne prenait plus son bras, lorsqu’on allait courir les champs, il n’était plus le gardien du sac à ouvrage ; la première, la dernière contredanse ne lui apparte-