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Son époux est un de ces hommes qui, après avoir fatigué pendant longtemps le monde d’un poids inutile, meurent sans laisser après eux un souvenir quelconque. Depuis soixante ans que M. de Clarmonde existe, on n’a jamais demandé quel est-il ? il entre dans un salon à la dérobée, s’asseoit tranquillement, joue sans parler, salue gravement ceux qui éternuent ; si l’on dispute devant lui, il pose son menton sur ses mains appuyées sur sa canne ; on croit qu’il écoute, on l’interroge ; on lui demande son avis au sujet d’une discussion, vous croyez qu’il va répondre non, il dort : bientôt son ronflement l’annonce, il s’éveille, bâille, va se coucher, sommeille, et trois cent soixante-cinq jours le voient recommencer le même exercice.

M. de Norcé, son ami, est bien autre chose : il réunit la triple charge de maire, de marguillier et de conteur, aussi il ne déparle pas. Le dimanche il paraît à la messe, placé au banc de la municipalité ; à l’offrande il se lève ; le vois-tu poudré à blanc, avec son bel habit bleu, son gilet à fleurs, sa culotte de velours nacarat, porter un bassin, et dire d’un ton pieux ou goguenard, suivant la personne à laquelle il s’adresse : donnez quelque chose pour les frais du culte.

Au sortir du lieu saint, la suffisance s’empare de lui : le voilà jetant à la tête ses con-