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Philippe, je ne sais plus être cruelle qu’à demi, ma main se lève et ne tombe pas sur l’être que je veux anéantir. Au moment de frapper Philippe, je le sauve, et l’instant d’après, je m’accuse de mon indigne faiblesse ; se peut-il que d’Oransai m’ait trahie et qu’il respire encore ! sera-t-il le seul à l’abri de ma vengeance, ou la déconcertera-t-il toujours ? quel pouvoir surnaturel m’enchaîne à lui ? d’où vient qu’il lui suffit d’un regard pour renverser mes résolutions les plus sinistres ? Deux fois il échappe à la mort ; recommencerai-je encore ? non, il vaut mieux qu’il vive, je veux cesser d’être une Hermione à son égard ; mais changeant de projet, je ne changerai point de caractère, je veux le poursuivre, le punir de son infidélité ; je prétends si bien faire qu’il sera enfin contraint à quitter Nantes, et qu’il ne partira que perdu sans retour dans l’esprit du public. Cette vengeance le punira bien mieux, il sera plus affreux pour lui de se voir tous les cœurs fermés que de périr peut-être. Je minute une perfidie à laquelle il ne peut s’attendre, mais je ne puis l’effectuer sur-le-champ, il faut laisser apaiser la rumeur élevée dans la ville par la tentative d’Émilien. Je croyais que cette malheureuse affaire n’éclaterait point ; je me suis trompée, elle a fait un bruit affreux. Par un bonheur inconcevable, on ne m’a point compromise ; le monde accuse Émilien d’avoir agi