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madame Derfeil, on la secourt ; après bien des soins elle paraît renaître, elle cherche à me voir, se rassure alors, mais toujours adroite, elle dit : « En vérité je suis folle ! quelle scène viens-je de faire, pour quelques ordures que je venais d’apercevoir dans la tasse de monsieur d’Oransai ! »

Le public, qui n’a pas tout approfondi, l’en a cru sur parole : on s’est contenté d’en rire tout bas, les malins m’ont même félicité, et moi seul, j’ai pu connaître le danger imminent auquel je viens d’échapper. Oui, Maxime, je n’en doute pas, le chocolat était empoisonné, et madame Derfeil me sacrifiait à son amour outragé, ainsi qu’à la scélératesse du méchant Émilien. Je n’ai point voulu rester après que la société s’est retirée, je suis parti avec Mercourt. Clotilde a paru un instant vouloir me retenir, mais un regard avec lequel je l’ai terrassée, a fait mourir ses paroles dans sa bouche. J’ai voulu aller me promener, dans l’espérance, de chasser mes noires idées : rien n’a pu les bannir ; je suis rentré chez Charles pour t’écrire ces nouvelles horreurs ; ma taciturnité redouble en me les rappelant, et je crois que le bal masqué de ce soir aura seul le pouvoir de rafraîchir mes idées assombries. Tout nous assure qu’il sera très brillant : sur trente personnes qui dînent aujourd’hui chez madame de Mercourt, plus des deux tiers se proposent de s’y rendre, ainsi tout m’assure