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dans le salon ; leurs discours m’apprirent qu’elles étaient invitées à déjeuner : alors ne voulant point exécuter une retraite affectée, je restai causant avec légèreté, et cherchant à démentir par mes paroles le sombre qui régnait sur mon visage. Madame Derfeil ne tarda pas à reparaître ; elle commandait à ses sentiments, elle riait, mais la rage était encore dans ses yeux ainsi que dans le mouvement de ses lèvres. Adolphe de Melclar, Charles de Mercourt égayant par leur amabilité le ton glacial du cercle, vinrent fort à propos nous seconder ; le déjeuner fut servi bientôt après ; il était d’une rare élégance, rien n’y manquait et rien n’y était follement prodigué : on rit, on plaisanta. Je me montai au ton général, tandis que Clotilde conservait la plus sourde taciturnité. À la fin du déjeuner, on apporta à chacun une tasse de chocolat qu’on plaça devant nous. Ici le visage de Clotilde fut en entier renversé, la pâleur, la rougeur se disputèrent l’empire de ses joues, elle tremblait, frémissait tour à tour. Sur ces entrefaites, je pris ma tasse, et souriant à l’aimable madame de Ternadek, je portai le chocolat à mes lèvres : soudain, Clothilde pousse un cri effrayant, quitte son siège, court à moi, saisit la tasse, l’arrache à ma main, la brise sur le parquet, s’écrie : Non, jamais je n’y consentirai ! et tombe évanouie. À cette action si bizarre, si imprévue, on se lève, on vole à