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je me garderai de le troubler : je suis au désespoir que ce contre-temps vienne me priver du plaisir de vous garder plus longtemps dans un château dont vous êtes cependant le maître. Adieu, mon ami, croyez à la sincérité de mes sentiments. »

Cette lettre, la position du lieu dans lequel je me trouvais, qui n’avait point l’air d’un manoir mystérieux, le départ de Léopold, tout, dis-je, me jeta dans une étrange perplexité ; je ne savais que croire, que penser. Ai-je été la dupe d’une mystification ? non, la chose est impossible ; tout ce que j’ai vu n’en portait point l’empreinte. Honorée était bien elle ; on ne pouvait à ce point tromper mon cœur et mes yeux ; mais où est-elle ? ne viendra-t-elle pas débrouiller à mes yeux cet inconcevable mystère ? J’interroge les domestiques, ils ne savent rien, ou du moins ils affirment ne rien savoir : à les entendre nous serions arrivés, Léopold et moi, dans la soirée ; après un splendide souper, auquel j’ai fait honneur, je me serais endormi, et mon sommeil aurait duré plus de vingt heures. Se pourrait-il que tous les événements de cette nuit mémorable ne fussent que des songes ? Oui, ce ne peut être autre chose ; j’ai vu trop de merveilles pour qu’elles ne fussent pas surnaturelles, et la raison nous apprend… la raison ? elle n’ôtera point de mes idées que ce que j’ai vu n’ait existé ; je n’ai pas été la dupe de l’illusion ;