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tendresse réciproque que m’inspirait mon cousin. Le marquis poursuivant, jura qu’il avait trop de délicatesse pour troubler ainsi l’union de deux cœurs, qu’il n’osait plus penser au mariage dont il s’était fait une aussi douce idée, et qu’il y renonçait sans retour. Mon père reçut avec chagrin une pareille réponse, mais intérieurement il ne pouvait blâmer la conduite du marquis, qui depuis ce jour fut par moi proclamé mon chevalier. Ses assiduités continuant auprès de moi, le public ne douta pas que mon union avec lui ne fût prochaine ; ainsi j’évitai de nouvelles persécutions.

Sur ces entrefaites, je reçus des lettres anonymes qui me dépeignirent ta conduite comme odieuse ; on me citait le nom des femmes perdues qui composaient ta société ; on m’annonçait ta liaison avec les chefs du parti anarchique. De telles nouvelles me désespérèrent, une sourde mélancolie me dévora. Le marquis s’en apercevant, me demanda au nom de l’amitié d’où pouvait naître la tristesse profonde qui me déchirait. Je lui en cachai longtemps la cause ; enfin, comme j’avais besoin de parler de mes chagrins à quelqu’un qui fût sensible, je lui confiai mon désespoir.

« Que vous êtes aveugle, crédule Honorée ! me dit le généreux marquis, pouvez-vous ajouter quelque foi aux méprisables lettres anonymes ? celui qui emploie un tel moyen