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tendresse que te témoigne ta mère doit te faire concevoir celle que me montre l’auteur de mes jours. „Ô ! ma fille, me dit-il, nous l’avons abandonnée sans retour, cette France qui nous proscrit.

„— Sans retour, mon père, lui répondis-je ?

„— Eh ! qu’irions nous faire dans des contrées sanglantes, où coule toujours le plus pur sang, où une horrible, une atroce liberté a remplacé la plus antique des monarchies ?

„— Vous vous trompez, Monsieur : le gouvernement est encore républicain, mais tout porte à croire qu’il ne tardera pas à être aboli ; les esprits, même les plus échauffés, commencent à reconnaître qu’un grand état a besoin d’un seul chef ; je ne doute point qu’avant peu la royauté ne renaisse avec plus d’éclat et de pouvoir ; d’ailleurs, mon père, abandonnerons-nous à jamais nos terres, notre famille, nos amis, madame d’Oransai, son fils ? À ton nom je rougis malgré moi ; le duc, sans paraître s’en apercevoir, me répliqua :

— Dès le moment où Philippe a pu reconnaître la Convention, il a cessé de m’appartenir ; je ne veux plus pour parent le déserteur de la plus belle cause, et de la plume avec laquelle il a signé la paix, il a lui-même effacé le souvenir de ses belles actions écrites dans le livre de l’histoire. Je crois, ma fille, que vous savez trop bien ce que vous devez à votre souverain pour conserver un sentiment de ten-