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aimable auquel je réservais dans ma pensée la gloire de m’initier aux mystères de Vénus. Mais hélas ! vivant dans une province fort retirée, et ne voyant autour de moi personne de mon rang, je dus bientôt perdre l’espoir d’un mariage qui m’eût tiré de cette solitude tout en répondant à mes secrets désirs. La nature, cependant, parlait en moi trop haut pour qu’il me fût possible d’y résister longtemps. J’avais remarqué dans mes promenades le fils de l’un de nos fermiers, grand garçon bien bâti et dont les vingt ans épanouis, les larges épaules indiquaient assez qu’il devait être un robuste champion dans les combats de l’amour. C’est sur lui que je me décidai à jeter mon dévolu. Je n’eus pas de peine à saisir les occasions de le rencontrer ; quelques agaceries et sans doute aussi le langage de mes yeux lui témoignèrent que je n’étais point farouche et que je consentais à franchir la distance qui nous séparait. Je ne te dirai point par quels insensibles degrés je sus lui faire comprendre ce que j’attendais de lui, ni comment, un jour, sur la mousse d’un bosquet, je lui laissai cueillir cette fleur à laquelle un ridicule préjugé attache tant de prix. L’ardeur dont je brûlais transforma bientôt la douleur en plaisir et Pierre devint mon amant. Mais si je connus par lui la volupté, je ne connus point l’amour. Incapable de comprendre la délicatesse d’un tendre