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mon âme suspendue à la sienne ne respire désormais que pour lui.

Tu t’étonnes sans doute et tu te demandes comment ce cœur insensible a pu se laisser donner des lois, comment cette Clotilde, pour laquelle l’amour n’était qu’un mot, éprouve aujourd’hui tous les effets de la passion la plus pure. Que te dire, sinon que Philippe est le plus séduisant des mortels et que je suis à lui pour jamais. Mais hélas, que d’angoisses et de tourments me réserve, sans doute, cette illustre conquête ! Léger, volage, aimé de toutes les femmes avant même qu’il les recherche, pourrai-je le retenir à mes pieds ? Déjà je sens bouillonner en moi tous les tourments de la jalousie et autant mon cœur serait capable de se régénérer si Philippe me restait fidèle, autant je saurais me venger s’il venait à me trahir. Tu me connais, tu n’ignores pas qu’il est dangereux de m’offenser et que je n’ai jamais manqué de châtier le coupable. Ne me juge pas trop sévèrement d’ailleurs ; douée d’un tempérament de feu, d’un caractère indompté, je n’ai jamais rencontré dans mon existence le frein salutaire qui aurait pu me maîtriser et me contenir. Je perdis ma mère tandis que j’étais encore tout enfant. Mon père, disciple des philosophes, m’éleva dans le plus parfait mépris des préjugés religieux et sociaux, et dans l’idée que toutes les impulsions de la nature étaient légitimes. Aussi