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beaucoup d’entre eux, condamnés par le Tribunal des invisibles, ont expié leurs forfaits par une justice sommaire. L’odieux Émilien lui-même semble redouter particulièrement Léopold ; il le hait, mais il le craint encore davantage et je crois que celui-ci le surveille avec attention et ne le perd pas de vue.

Léopold est d’une beauté remarquable, sa taille est élevée, son port majestueux, il semble né pour le commandement, et ses regards, si perçants qu’ils paraissent lire jusqu’au fond des consciences, vous obligent bientôt à détourner les yeux. Il y avait longtemps déjà que je désirais faire sa connaissance, une inexplicable attraction m’attirait vers lui, lorsque l’occasion m’en fut fournie chez Madame Derfeil, car Léopold ne fuit la société pas plus qu’il ne la recherche. Je ne manquai pas de me faire présenter par Clotilde, et comme je venais de lui être nommé. « Le comte d’Oransai, dit-il, n’est point un inconnu pour moi, sa bravoure et sa noble conduite en des temps difficiles lui ont assuré l’estime de tous les hommes de cœur. » Je le remerciai de mon mieux de l’opinion flatteuse qu’il avait conçue à mon égard, puis après avoir pris quelques instants part à la conversation générale, nous profitâmes de l’animation qui régnait dans l’assemblée, pour nous retirer inaperçus. Nous suivions depuis quelques instants les quais de la rivière, lorsque dans un endroit désert, nous