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Alexandre avait dans la physionomie je ne sais quoi de fier et de gracieux qui charmait au premier abord. Il était franc par de là toute expression, excepté avec les femmes. Que d’hommes lui ressemblent de ce côté ! Son œil était vif, expressif, ses dents belles, la jambe bien tournée, sa taille haute et dégagée, peu de cheveux, de beau sourcils, une bouche bien meublée. Incapable de trahir son honneur, il lui eût sacrifié sa vie ; d’une gaîté aimable, point de hauteur dans le caractère, ayant au contraire trop de penchant à la familiarité ; mais bon, mais sensible, et adoré de tous ceux qui l’entouraient : tel était Alexandre d’Oransai.

Pendant que je fais son portrait j’oublie Lucile qui, debout, appuyée contre une fenêtre, faisait semblant de regarder la grande route, tandis qu’elle ne s’occupait que du bel officier. Alexandre cependant mettant fin à sa toilette, s’approcha de la fenêtre, et voulut causer avec Lucile ; celle-ci croyant ne lui lancer qu’une épigramme lorsque dans le fait elle lui découvrait ses sentiments, lui dit avec intention : „À quoi vous amusez-vous, monsieur ? allez trouver madame d’Hecmon : vous avez sans doute à lui dire des choses dont vous n’avez pas eu le temps de lui parler durant les deux heures que vous avez passées ensemble !” J’interromps ici ma narration pour donner un conseil aux femmes : Ne dites jamais à celui à qui vous n’avez point découvert votre amour,