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PHILIPPE D’ORANSAI à MAXIME DE VERSEUIL.

J’étais hier au théâtre, ne comptant pas m’y divertir plus que d’habitude, on avait annoncé les débuts d’une nouvelle chanteuse et je m’attendais à voir paraître, comme c’est assez l’ordinaire, quelque donzelle bien sèche aux gestes empruntés et à la voix aigre. Mademoiselle Célénie — ainsi s’appelait la débutante — entre en scène. Quelle n’est pas ma surprise ! Une taille de déesse, des traits charmants, un teint de lys et de roses, des yeux admirables, pleins de douceur et de feu tout ensemble, tout en elle semblait fait pour inspirer l’amour et exciter les désirs. Mes regards dès-lors ne la quittent plus, et je n’ai plus qu’une idée en tête : entreprendre la conquête de l’adorable Célénie et coûte que coûte m’insinuer auprès d’elle. Mais tandis que ces idées me traversent la tête, elle commence une tendre romance. Au lieu du filet de vinaigre que me faisait craindre une expérience trop souvent répétée, c’est une voix pure et bien timbrée qui vient caresser les oreilles de l’auditoire charmé. Mon enthousiasme ne se contient plus, à peine Célénie a-t-elle fini de chanter que j’applaudis comme un sourd et fais à moi seul plus de bruit que la salle entière. Ma nouvelle flamme, apercevant cet admirateur enthousiaste et expansif, se tourne de mon côté et me remercie par un doux