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Je disais, et ma vertueuse cousine se relevant avec promptitude, dépose sur mon front un tendre baiser, et plaçant sa main sur mon cœur, qui ne cesse de battre pour elle, elle me fait le serment solennel de n’avoir d’autre époux que Philippe. De douces larmes coulaient de nos yeux. Nous recommençâmes à marcher, sans que nul sentiment de honte appelât la rougeur sur nos visages, quand nous nous regardions. Mon âme ne renfermait pas un regret. Honorée, satisfaite de sa conduite, n’avait pas à étouffer ou à distraire les cris de la conscience et les angoisses du remords. J’étais satisfait, calme, heureux ; je venais de faire une bonne action. J’ai remarqué toute ma vie que je ne pouvais souhaiter un plaisir qui dût coûter des larmes : je me suis plu à de délicieux triomphes ; mais je ne voulais point voir celles qui me les avaient procurés, affligées par un air de deuil. Oui, toutes les fois où la vraie pudeur est venue s’offrir à moi, je ne l’ai pas insultée ; et dans mes diverses victoires amoureuses, j’ai mis plus d’art à faire disparaître toute envie de défense, à comprimer les remords, avant qu’ils aient pu naître, qu’à chercher le moment de la séduction. Une jouissance achetée par des regrets, n’a plus de prix pour moi. Je ne peux aimer que ce qu’on m’abandonne sans peine. De tous les sacrifices, le plus pénible sans doute fut celui que je viens de décrire : de toutes les femmes,