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chait à gros bouillons, pâle et chancelant, la vue de son amante le ranime ; s’il doit expirer devant elle, il veut du moins que son trépas soit glorieux. Hélas ! il doit mourir dans l’instant où tout triomphe autour de lui ; mais, moins à plaindre, il ne sera plus le témoin de la mort épouvantable de celle qu’il adore. Célénie, éperdue, a vu Emanuel ne plus tenir son fer que d’une main mal assurée. Elle contemple avec désespoir ses yeux, autrefois remplis d’une ardente flamme, s’éteindre, couverts des ombres dernières. « Adieu, lui dit Emanuel, adieu, chère amie ; l’hymen n’allumera pas ses flambeaux pour nous. Je meurs, et mon dernier soupir se partage entre mon Dieu et toi.”

Célénie cherchant à l’entraîner loin de la mêlée, espérait encore, quand un soldat barbare égorge brutalement le jeune héros chrétien. À cette indigne action, M. de Mersan pousse un cri de rage, et s’élance sur l’assassin ; mais la fatigue trompe sa vengeance. Il est lui-même sur le point d’être accablé. Célénie, qui, en perdant son amant, semblait être devenue insensible à tout ce qui l’environnait, apercevant le péril que court son père, vole pour le défendre ; elle est encore le nouveau témoin de ce nouveau meurtre, le même monstre immole M. de Mersan. Célénie tombe, épuisée par sa double douleur ; et oserai-je le dire, le cannibale qui vient de lui porter de si funestes coups, passe à plusieurs reprises le fer qui