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je voulais leur cacher. Après le repas, je me retirai, lorsque Saint-Clair, emplissant mon verre, me proposa de boire à la santé de la république. „Je n’ai pas soif”, lui dis-je, en versant le vin dans l’assiette placée devant moi. Cette action occasionna un murmure général d’approbation. Tous ces jeunes officiers admirèrent ce qu’ils appelaient mon courage, tant il est impossible, même au milieu des orages politiques, d’enlever en entier aux Français leur politesse pour les dames et leur amour pour les purs sentimens.

Le lendemain, Saint-Clair parut dans ma chambre : il avait passé une partie de la nuit à se livrer aux excès de la débauche ; sa tête était encore troublée, et je le connus quand je le vis venir à moi les bras ouverts : une table se trouvait placée auprès de moi ; je la poussai devant Saint-Clair, pour être un obstacle à son dessein, et je lui demandai quelle était son audace.

— „Tu es jolie, me dit-il ; je veux t’embrasser, et te convaincre que les républicains ne sont pas indifférens aux charmes des jeunes citoyennes.”

— „Si vous faites un pas de plus, lui dis-je, je fais retentir la maison de mes justes clameurs.”

— „Le bruit ne m’effraie point”, me dit-il en avançant vers moi. Épouvantée du danger que je cours, redoutant d’être livrée aux em-