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vie qui m’est si précieuse. Dans les garnisons, garde-toi de provoquer tes compagnons d’arme ; vois les pleurs que je verse au moment où tu vas me quitter, quoique j’aie la douce espérance de te revoir, et juge quelle serait ma douleur si la nouvelle de ta mort parvenait jusqu’à moi ! je n’y survivrais pas. N’est-ce pas, mon Alexandre, que tu ne seras point querelleur ? Que tu éviteras même les occasions qui pourraient te forcer à t’armer contre un Français ? Promets-le-moi, mon fils ; jure-le-moi, ou tu ne pars pas.”

Alexandre, pour calmer sa mère, ne balança pas à lui tout promettre, lorsqu’en secret il ne pensait point qu’il dût impunément endurer le moindre outrage. Son père, qui avait vécu dans les camps, ne savait que trop combien ce que demandait la comtesse était impraticable. Enfin le moment fatal arriva : Alexandre partit ; ses sœurs, ses jeunes frères le comblèrent de leurs caresses ; il s’arracha avec peine des bras maternels ; et suivi d’un vieux domestique auquel on avait confié le soin de sa conduite jusqu’à son arrivée à la garnison, il s’éloigna pour la première fois des lieux où il prit naissance. Malgré la douleur qu’il ressentait en quittant sa famille, il n’était point insensible au plaisir d’être libre. Sa conduite serait moins surveillée, il pourrait plus se livrer à ses goûts, dont le premier aspect est si brillant aux yeux d’une jeunesse inexpérimen-