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heureusement peu fondées ; ce n’était qu’un faux brillant, un jargon maniéré qu’elle croyait être du génie. Pour les méchancetés, elle avait quelque adresse, et son orgueil sur ce point était infini ; son cœur était foncièrement mauvais, son ton étourdi, son bavardage fatigant ; cependant, par un feint étalage de sentiment, d’expressions relâchées et entortillées, de pensées fausses, assez bien exprimées, parfois elle avait su se faire une sorte de réputation qu’elle commençait partout à perdre.

Rejetée, par sa naissance, dans les sociétés du troisième ordre, reçue par hasard chez madame de Ternadek, elle n’avait point vu un homme comme il faut se ranger sous ses enseignes ; elle briguait vivement une telle conquête : elle me vit sur ces entrefaites, je n’avais pas encore quinze ans, mais je portais un nom connu, c’en fut assez. Au portrait que je viens de tracer, je dois joindre encore une dissimulation surprenante ; un besoin de venger les injures qu’elle avait reçues, un système de brouillerie organisé dans sa tête, en un mot, madame Derfeil était une femme dangereuse, et ce fut elle qui la première m’accabla de sa fureur.

Madame de Ternadek m’ayant présenté à elle, je fus reçu avec un gracieux sourire, auquel je ne fis pas attention, c’est-à-dire dont je ne compris point sur-le-champ l’étendue et l’expression entière. Nous causâmes quelque temps