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incertitudes, je lui appris tout ; et la maligne, qui alors n’avait que trente ans, se moqua de moi, me fit enrager, me retint pourtant ; car il est si doux d’avoir quelqu’un qui vous montre de l’amitié ! Depuis longtemps j’étais avec elle, quand on vint annoncer madame Derfeil : je voulais me retirer. — Non, restez, me dit madame de Ternadek, je veux vous faire voir une jolie femme. Elle dit, et madame Derfeil parut. Je ne sais, lecteur, si déjà tu t’es aperçu que j’ai la manie de peindre tous les individus que je te présente : peut-être cette manie te déplaît-elle ; mais comme lorsque j’ai fait mon ouvrage, tu n’étais pas là pour me donner ton avis, tu auras la bonté de sauter les portraits qui pourraient te déplaire, et de lire ceux qui t’offriront quelque agrément.

Madame Derfeil, quoi qu’en dît ma confidente, n’était point jolie ; elle avait vingt ans ; ses yeux assez petits n’étaient pas dépourvus d’une certaine expression ; la petite vérole avait exercé sur sa figure des ravages assez remarquables, néanmoins de fort vives couleurs cachaient de loin ce défaut ; les dents de cette dame, bien rangées et fort blanches, donnaient du charme à son visage ; elle parlait en minaudant, et comme si elle eût fait la moue ; sa gorge, taillée en forme de poire, était déjà dépourvue de cette fermeté, de cet embonpoint qui lui seyaient si bien. Quand à l’esprit, madame Derfeil y avait de grandes prétentions mal-