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Euphrosine se dépitait ; que faire ? Il fallut se séparer sans avoir pu se dire un mot. Ah ! pour la bavarde Euphrosine comme pour moi, ce contre-temps était insupportable. D’assez mauvaise humeur, je sors et l’habitude me conduit chez Madame de Ternadek : si elle eût reçu l’éducation du monde, si elle en avait parfaitement connu les usages, elle eût été citée parmi les femmes aimables. Je puis dire que, depuis l’instant où je l’ai connue jusqu’aujourd’hui, je ne me suis pas ennuyé une seule minute auprès d’elle. Après avoir aimé les plaisirs, elle donna par bouffée dans la dévotion ; elle l’afficha sous les bannières du jansénisme. Mais, malgré ses pieux désirs, l’ancien caractère perce toujours, et par étincelles l’esprit s’échappe des voiles du rigorisme. Elle a dû avoir été fort bien ; sa taille est élégante, son œil est très beau, et, malgré ses quarante ans, je lui ai connu plusieurs adorateurs. L’active médisance, je veux dire calomnie, m’a toujours rangé dans cette classe, et je jure que les seuls liens de l’amitié me liaient à cette femme charmante ; indulgente pour moi, elle paraissait écouter avec intérêt mes jeunes récits ; je ne craignais pas de lui tout confier, et son étonnante discrétion ne me donna pas un instant d’inquiétude à des époques où il lui eût été si facile de me nuire si elle eût parlé. Ce fut donc chez madame de Ternadek que je me rendis. Tout occupé de mes conquêtes, de ma cousine, de mes