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enfin, il fallut obéir. Le lendemain on ne pouvait se revoir ; mais le jour suivant devait ramener la plus tendre des filles auprès du plus sensible des pères. Nous remontâmes en silence : notre cœur se serrait au bruit des verrous qu’on refermait sur M. de Barene. À la porte de la prison, Saint-Clair nous laissa. Je le saluai par une silencieuse inclination : il parut vouloir parler à Honorée ; mais celle-ci s’éloigna en m’entraînant. Je marchais de surprise en surprise : je ne pouvais douter que mademoiselle de Barene ne connût Saint-Clair ; et pourtant ma curiosité n’osa point se satisfaire en interrogeant Honorée, tant elle m’inspirait du respect. Nous revînmes ainsi au logis, et là, me remerciant encore, ma cousine fut se renfermer dans sa chambre. Me voilà seul : où irai-je ? où ? Eh ! parbleu ! chez mon oncle ; il y a un siècle que je ne l’ai point vu. Ce cher oncle ! comme je le caresse ! comme j’ai grand soin de parler bien haut, afin de faire accourir mon Euphrosine à la fenêtre qui est vis-à-vis celle par laquelle je regarde. Je la vois soudain j’abrège les compliments ; je sors de chez mon oncle : je vais entrer chez elle ; mais elle n’est pas seule : Ambroisine, sa sœur, l’accompagne : Ambroisine, qui n’a encore que treize ans, et qu’un jour… n’anticipons pas. L’Amour est bien triste quand il a un témoin ; je bâillais, je ne disais plus rien : Ambroisine était assurément jolie ; mais je ne pensais point à elle.