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à l’autre bout du salon, et là je m’enivrai du plaisir de la contempler. Telle était Junon, telle était Honorée : même fierté, même dignité dans l’œil et dans le port ; sa figure ovale et majestueuse commandait le respect en inspirant l’amour. Auprès d’elle disparaissait ma légèreté naturelle. Honorée prit sur moi un ascendant que rien n’a jamais pu détruire. Tout en elle me séduisait : ses yeux parés de deux sourcils dont l’ébène faisait ressortir la blancheur de son teint, de ses yeux partaient la flamme et l’enthousiasme ; sa bouche, légèrement relevée donnait à Honorée une figure grave, malgré qu’elle éclatât de toutes les grâces de la jeunesse. Mais que ses attraits étaient encore loin de ses qualités morales ! Honorée, née exactement le même jour que moi, avait laissé son âge bien loin d’elle. Ferme, courageuse, elle savait allier la prudence au courage, l’héroïsme à la bonté ; ne dédaignant pas les soins du ménage, elle les réunissait aux occupations les plus étrangères à son sexe ; élevée au milieu des orages de la révolution et parmi les rangs des braves Vendéennes, son âme exaltée ne soupirait qu’après le rétablissement de la monarchie. Sa mère, victime du régime de la terreur, était tombée sous la hache meurtrière. Sœur de mon père, elle avait éprouvé le même sort. Le désir de délivrer son père, qui lui restait, et qu’on faisait languir dans les prisons nantaises, avait seul pu arracher Honorée à ses occupations