Page:Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, 1887.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125

Madame de Sancerre, qui depuis quelque temps ne m’avait point vu, me témoigna son plaisir de me trouver chez elle. Je répondis assez gauchement aux amitiés qu’elle voulait bien me faire : car j’entendais dire autour de moi : Comme il a grandi ! c’est un joli garçon, il a l’air d’un homme ; et je trouvais fort mauvais qu’on crût que je n’avais que l’air. Pourtant, après un demi-quart d’heure de bouderie, je levai les yeux, et d’une manière distraite, les portai à droite et à gauche. Dans ce moment je fus frappé d’apercevoir, non loin de moi, une jeune demoiselle que je ne connaissais pas ; au premier abord, sa figure ne m’étonna point, je m’approchai doucement de maman et lui demandai le nom de cette inconnue. Six ans, me répondit-elle, ont donc apporté de grands changements en elle, puisque tu ne retrouves point les traits de ta cousine Honorée de Barene. À ces mots, honteux de mon peu de mémoire, je courus vers Honorée, et d’un air joyeux je lui demandai pardon de ma négligence à lui rendre mes devoirs. Honorée se leva avec politesse, me regardant avec des yeux d’où les larmes paraissaient prêtes à s’échapper, me remercia, et puis se rassit en silence. La riche taille de ma cousine m’avait charmé, son ton mélancolique vint encore ajouter à cette première impression ; et n’osant lui parler, car je m’aperçus qu’elle ne voulait point porter ses regards sur moi, je fus m’asseoir