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les regards s’y donnaient des rendez-vous. Là, dans l’obscurité, et sous les voiles du mystère, l’Amour usurpait souvent les droits de l’Hymen. J’aimais à parcourir ces grottes profondes et silencieuses. Caché dans un enfoncement, je me voyais souvent le témoin des scènes les plus érotiques, mais rarement gracieuses. Non, quoi qu’en disent les romans, l’habitant de la campagne ne sait point mettre dans ses plaisirs ce charme, cette délicatesse qui embellit, qui ajoute aux transports : ils jouissent brutalement, mais enfin ils jouissent ; et pour une imagination de treize ans, leur amour était toujours un violent excitatif.

Ah ! qu’il me tardait de voir naître cet instant où, placé par la nature au rang des hommes, je pourrais donner naissance à mes semblables ! Un jour que j’avais parcouru des vignes voisines de mes grottes favorites, il me prit l’ordinaire fantaisie de les visiter avant de revenir au château. Dans cette pensée je m’achemine, j’approche, un doux bruit parvient jusqu’à moi : ce sont des baisers qu’on se donne, mais non de ces grossiers baisers que le villageois donne à sa maîtresse ; aux paroles sales ont succédé des expressions plus agréables. Suspendant d’abord ma marche, je m’approche ensuite sur la pointe des pieds, retenant mon haleine ; enfin je découvre la belle, la superbe Olympie de Saint-André, pressant dans ses bras d’ivoire le jeune et joli commandant de la garde nationale