Page:Rochefort - Les fantômes blancs, 1923.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
LES FANTÔMES BLANCS

— Bonjour, mes amis, dit Georges qui arrivait d’une promenade dans le parc.

— Bonjour capitaine, dit Jacques. Ce qu’il faut monter pour atteindre votre château. Et, encore, on ne voulait pas nous laisser entrer.

— Qui est-ce qui s’opposait à votre entrée ? demanda Georges.

— Cet homme, dit Charlot, le même d’hier soir.

— Qui êtes-vous ? demanda Georges.

— Je suis l’intendant de Mme la comtesse, répondit l’individu avec hauteur.

— Est-ce par ses ordres que vous empêchez les gens de pénétrer au château ?

L’homme ne répondit pas.

— Allez m’attendre avec vos livres dans mon cabinet de travail. Je suis le comte de Villarnay et c’est moi qui commande ici désormais. Venez, mes amis, toi aussi Charlot.

Ils gagnèrent le château et Georges vint présenter les arrivants à sa mère.

— Voici notre futur intendant, dit-il, en désignant Jacques ; le père Yves est un grand ami d’Odette, il l’accompagnera dans ses promenades. Corentin et Charlot s’occuperont de l’écurie jusqu’à nouvel ordre.

— Ça me connaît, capitaine, répliqua le jeune Breton. J’étions valet au château de chez-nous avant d’être marin.

— Et moi, je suis un garçon d’habitant, dit Charlot.

— Voyez-vous, cela se trouve à merveille, dit Georges. On va vous servir un verre de vin, et vous serez libre jusqu’au dîner. Viens Jacques.

Celui-ci avala son vivre de vin, et suivit le comte.

L’intendant était là. Georges, averti par sa mère examina les comptes avec l’aide de Jacques. Ils constatèrent bientôt la mauvaise foi de l’individu ; la comtesse ne s’était pas trompée.

— Je pourrais vous livrer à la justice, dit Georges d’un ton sévère. Je me contente de vous congédier. Voici six mois de gages, allez vous faire pendre ailleurs. L’homme sortit, furieux de se voir démasquer si vite ; comme il regrettait maintenant d’avoir voulu jouer au maître. En sortant du château, il passa près d’un groupe où se trouvaient Éva et une autre jeune fille, en compagnie des gens arrivés le matin. Au moment de franchir la grille, la voix gouailleuse de Charlot lui cria : « Bon voyage, et au plaisir de ne jamais te revoir… »

Robert de Kermor et le capitaine Levaillant arrivèrent quelques jours plus tard. Ils furent reçus à bras ouverts par tous, et surtout par Mme de Villarnay, qui attendait avec impatience les fidèles amis de son fils.

Le bon curé du village vint, tout joyeux du retour de Georges, et lorsqu’il apprit que M. de Kermor se destinait aux missions, il s’offrit pour lui aider à continuer ses études, en attendant son entrée au Séminaire. Robert accepta, et bientôt, pris tout entier par ses études sérieuses et par la vie amicale qu’il menait au château de Villarnay, il sentit le calme revenir peu à peu dans son âme… Le souvenir de Marguerite lui revenait, très doux, comme la caresse d’une affection de sœur.

Le mariage de Georges et d’Odette devait se célébrer dans un mois, lorsqu’un matin, Philippe se présenta chez sa tante :

— Ma tante, dit-il résolument, nous nous aimons Éva et moi, et nous avons décidé de nous marier en même temps que Georges, avec votre consentement, bien entendu. La comtesse caressa la tête brune qui se penchait vers elle.

— J’attendais cette demande et j’en suis heureuse, murmura-t-elle. Valentine, elle-même, doit y sourire du haut du ciel.

— Je vais souvent prier sur sa tombe, dit le jeune homme pensif. Chère petite amie !…

Les deux mariages furent célébrés un mois plus tard. L’hiver se passa dans une intimité. M. D’Orsay et le bon curé étaient les seuls visiteurs qui fussent admis dans ce cercle de famille, peu désireuse de renouer des relations avec ceux qui les avaient délaissés au temps du malheur.

Le printemps vint faire un vide dans cet intérieur réuni, Robert de Kermor partit pour le Séminaire, emportant les regrets de tous. Le capitaine Levaillant et Corentin partirent à leur tour pour la Bretagne. Corentin allait chercher sa promise pour la ramener au château et le capitaine espérait gagner l’Angleterre sur une barque de pêcheurs et une fois là, comme il connaissait la langue anglaise, il comptait s’engager sur quelque vaisseau et gagner ainsi le Canada.

M. D’Orsay possédait encore des amis à la cour. Il apprit par eux que Georges et son cousin étaient rayés définitivement des cadres de l’armée française. Ils pouvaient habiter la France, mais on les ignorait complètement à la cour.

Cet espèce d’ostracisme pesait beaucoup à ces âmes fières, et Mme de Villarnay qui devinait la pensée intime de Georges et de son neveu, fut la première à leur conseiller de quitter la France.

On décida donc qu’on laisserait Jacques, le père Yves, Corentin et sa femme au château, et que l’on irait tous ensemble passer quelques années au Canada.

La mort de M. D’Orsay et du bon curé, survenant à quelques mois d’intervalle, vint rompre les derniers liens qui attachaient nos amis à la France.

Fin de la quatrième partie.


ÉPILOGUE


Le capitaine Levaillant était parvenu à gagner le Canada. Il apportait d’excellentes nouvelles à ses amis, qui lui firent fête.

Il leur dit que les familles de Villarnay et de Seilhac formaient le projet de revenir au Canada, mais que la difficulté des communications rendait leur voyage presqu’impossible pour le présent.

Harry avait encore des amis très influents en Angleterre. Il les mit en communication avec le comte de Villarnay, espérant que par leur entremise, les deux familles pourraient s’embarquer sur l’un des rares navires qui faisait voile pour le Canada.

Cela demanderait un temps considérable, mais enfin, il était permis d’espérer.

Trois ans se passèrent ainsi ; Marguerite était mère maintenant d’un mignon chérubin au-