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LES FANTÔMES BLANCS

— Et Mme Merville ?

— Elle est morte, il y a quinze jours, repentante de ses crimes, en implorant le pardon de Marguerite.

— Ainsi Marguerite est retrouvée ? s’écria le capitaine. Ah ! les pauvres petites vont donc être libres et heureuses enfin !… Je vais avec vous, si notre ami, Bob, consent à me remplacer…

— Avec plaisir, capitaine. Mais je vous demanderai de me laisser Marcel, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Gardez Marcel et Charlot, mon ami. Nous serons assez de monde sans eux.

— Pardon, capitaine, dit l’espiègle en avançant son minois futé. Si vous vouliez en laisser un autre à ma place ?…

— Et pourquoi cela, méchant gamin ?

— Parce que je suis curieux de voir la binette du père Vincent, quand y saura que c’est Bob qui vous remplace.

— On ne s’accorde donc pas avec le père Vincent, mon fiston ? demanda Levaillant, qui riait de bon cœur.

— Comme chien et chat, capitaine.

— Faites excuse, mon officier, dit Corentin, mais j’resterions ben avec monsieur Robert.

— Viens Corentin, monsieur de Seilhac a beaucoup de choses à vous apprendre, capitaine. Dans cinq jours, les chaloupes seront ici, au revoir !…

— Bon voyage et heureux retour, dirent les chasseurs qui restaient.

— Le retour, c’est le départ pour la France, cria Jacques. Vive la Normandie !

— Chut !… dit Philippe, restons fantômes, notre sécurité est à ce prix… Nous avons un chemin de raccourcie par les bois ; au lever du soleil, nous serons loin.

Levaillant et Philippe prirent la tête de la troupe, et de Seilhac raconta au capitaine, attentif, les événements de ces derniers jours.

— Vous auriez dû avertir M. de Villarnay, dit le capitaine.

— Bob a craint de le contrarier. La présence de Marguerite pouvait agir sur l’esprit d’Odette, et l’empêcher de suivre Georges, lorsqu’elle saura qu’il n’est pas son frère. Et puis le sentiment de sa responsabilité lui pèse tant à ce pauvre ami, que nous avons jugé inutile de l’inquiéter davantage.

— Tout cela est bien étrange, murmura Levaillant pensif. Ce Bob qui se trouve être un baron authentique ; j’ai toujours soupçonné un mystère dans sa vie… Mais la pauvre Marguerite va encore souffrir…

— Elle va épouser Harry et retrouvera une famille chez ses vieux amis.


CHAPITRE XVII
UNE FANTAISIE D’ODETTE.


Elle était très intriguée, ce matin, la petite Odette. Elle venait de trouver sur sa table un paquet et une ptite boîte. Elle appela Angèle :

— Sais-tu ce que c’est ? demanda-t-elle en montrant les deux objets. Paul est-il venu dans ma chambre ?

Angèle ouvrit des yeux étonnés.

— Non, ma petite, il est parti avec ses hommes pour le camp de Marcel. J’ai pas vu d’autre monde que l’père Yves.

Odette déplia le paquet ; il contenait une robe de velours bleu qu’elle reconnut aussitôt :

— Ma robe ! dit-elle, qui peut l’avoir apportée ici ? Voyons cette boîte.

Elle l’ouvrit et poussa une exclamation de joie :

— Mes bijoux ! Regarde Angèle, cette bague, elle me vient de ma mère. Ce médaillon, c’est l’oncle d’Harry, M. Murray, qui me l’a donné. Lily en avait un semblable. Mais qui les a apportés ici ?…

— Voyons Mlle Odette, venez déjeuner, et ne vous agitez pas comme ça. On viendra à l’savoir, allez, dit la bonne vieille.

Odette la suivit et se mit à table. Le père Vincent entra.

— Le capitaine est-il ici ? demanda-t-il.

— Non, répondit Angèle. Que lui voulez-vous au capitaine ?

— Ben, dit le bonhomme un peu embarrassé, c’était pour y dire comme ça, qu’on a vu des sauvagesses dans les alentours du p’tit camp.

— Des sauvagesses ! dit Odette, oh ! que je voudrais les voir… Allons-y père Vincent… Le vieux se gratta la tête, indécis.

— Bédame mam’zelle, j’sais ben que l’capitaine a dit d’pas vous contredire, mé, vous m’ner par là… Tout d’un coup, y s’raient pas toutes seules.

— Vous êtes un peureux, dit Odette en colère. Je le dirai à Paul, je veux…

Mais le père Yves entrait, la jeune fille se précipita vers lui.

— Papa Yves, je veux aller au petit camp. Il fait beau et il y a bien longtemps que je ne suis sortie…

Prompte comme l’éclair, Odette avait gagné sa chambre, elle en sortit, transformée.

Avec sa longue robe de velours bleu, sur le corsage duquel étincelait le médaillon d’argent, elle avait l’air d’une princesse de légende.

— Vous ne refuserez pas de m’emmener, maintenant, dit-elle câline. Voyez comme je suis belle… J’ai trouvé tout cela sur ma table, ce matin. Paul m’expliquera ce mystère… Partons, venez Angèle.

— Mais il faut que j’aille au-devant des chasseurs qui reviennent de l’île. Le capitaine m’a envoyé pour ça.

— Cela ne fait rien, je les reverrai plus tôt, dit Odette. Partons.

— Après tout, murmura le vieux Breton, cela devait arriver, un jour ou l’autre. À la grâce de Dieu.

Odette avait pris le bras d’Angèle ; le chemin qui conduisait au petit camp longeait la rivière. Ce chemin, entretenu par les chasseurs, était assez beau ; aussi la jeune fille entraînait sa compagne qui avait peine à la suivre.

À mi-chemin, on rencontra la troupe qui revenait de l’île. Odette pressa le pas, et dans sa précipitation, elle lâcha le bras de le vieille servante. La rivière, à cet endroit, était fort escarpée. Levaillant, qui avait reconnu la jeune fille, jeta un cri :

— Prenez garde, Odette ! Mais avant que le père Yves put la retenir, la pauvre enfant glissait sur la berge et disparaissait sous les flots.