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LES FANTÔMES BLANCS

— Dieu n’abandonne pas ceux qui mettent leur confiance en lui, ma bonne Nanette. Il aura pitié de ces pauvres petites.

Marguerite reprenait un peu de force, elle marchait maintenant dans la maison, et paraissait reprendre ses habitudes, lorsqu’un beau matin, elle reçut la visite d’Harry, qui s’inquiéta en la voyant si pâle :

— Mais vous êtes malade, ma pauvre chérie ! s’écria-t-il, et moi qui venait vous chercher…

Marguerite sourit en tendant les deux mains à son fiancé.

— Je ne supporterais pas le voyage, dit-elle, mais j’espère que dans quelques semaines, je serai assez forte pour vous suivre. J’ai hâte de quitter cette maison.

Le jeune homme passa une partie de la journée près de sa petite amie. Ils causèrent de leur prochain mariage et du retour d’Odette. Harry annonça à sa fiancée que son cousin Murray enverrait au printemps un navire à la recherche de Kerbarec, car il était persuadé, lui aussi, que le corsaire était l’auteur de l’enlèvement. Marguerite souriait à ces propos qui mettaient un peu de baume dans son âme. Elle paraissait si calme ; Harry la quitta, le cœur plus léger, en lui disant : « Dans un mois ».

Quelques jours plus tard, Mme Merville voulut faire venir Marguerite dans sa chambre ; Nanette s’y opposa en lui disant que la jeune fille, reprise par une grande accès de faiblesse était incapable de quitter son lit.

— Alors, vous allez me conduire chez elle, dit Ellen. Je veux la voir.

On dut satisfaire à ce désir. Comme Ellen ne pouvait marcher, ce fut assise dans son fauteuil que les deux servantes la transportèrent près du lit de Marguerite.

La jeune fille, plus blanche que les dentelles de ses oreillers, se souleva un peu et tendit la main à sa belle-mère.

— Vous sentez-vous mieux, Ellen ? demanda-t-elle.

Mme Merville joignit les mains.

— Vous vous inquiétez de ma santé ! Vous m’avez donc pardonné, Marguerite ?

— Oui, je vous ai pardonné, dit la jeune fille. Vous souffrez, Ellen ! Priez Dieu, il soulagera vos souffrances…

— Dieu !… dit la malade avec un geste d’effroi, je l’ai tant offensé…

— Votre repentir effacera vos fautes.

— Mes fautes ! dites mes crimes… Écoutez, je vais tout vous dire.

— Non, non, cria la jeune fille. J’en sais assez… je vous ai pardonné de bon cœur, Ellen, mais laissez le passé où il est… Confessez-vous à un prêtre, et le calme reviendra dans votre âme… Adieu, ces scènes me brisent… Laissez-moi mourir en paix… Et, brisée par l’émotion, la jeune fille se renversa en arrière, sans voix, et presque sans souffle.

— Non, vous ne mourrez pas ! s’écria Mme Merville. Ô mon Dieu ! prenez ma vie, je vous l’offre… mais sauvez cette enfant que j’ai tant fait souffrir, et qui m’a pardonné… Pitié pour elle, et pardon pour moi. Mais le délire revenait. Ellen se mit à marmotter des mots sans suite, et, on la ramena dans sa chambre.

Nanette essaya de ranimer Marguerite. Ne pouvant réussir, elle s’assit, et en cherchant à réchauffer les mains glacées, de la jeune fille dans les siennes, elle se mit à réciter son chapelet.

N’espérant plus rien de la terre, la bonne vieille suppliait le ciel de venir à leur aide.

Son appel devait être entendu.


CHAPITRE IX
BOB L’INDIEN.


Nanette priait toujours ; elle sentait battre sous sa main le cœur de Marguerite ; un peu de chaleur revenait à ses doigts, et la prière de la bonne fille continuait toujours plus fervente, à mesure que le temps s’écoulait et que la nuit commençait à envahir la chambre.

Tout à coup, un pas rapide résonna sur la neige durcie, on monta les degrés du perron et le marteau, soulevé par une main impatiente, retomba avec un bruit sonore.

Françoise courut ouvrir et Nanette, anxieuse, entendit une voix d’homme prononcer son nom. Alors, elle ouvrit la porte, et se trouva en face de Bob l’Indien. Nanette le connaissait, elle l’avait vu deux ans auparavant chez Mme Bernier.

— C’est vous, Bob ! dit-elle. Je crois que c’est Dieu qui vous envoie… Ma pauvre Marguerite se meurt !…

Bob tressaillit.

— Elle est ici ! s’écria-t-il.

— Venez, dit simplement Nanette.

Et elle l’entraîna près du lit.

À la vue de la jeune fille, pâle et les traits tirés, plus semblable à une morte qu’à une personne vivante, le sauvage ne put retenir un cri de désespoir :

— Mon Dieu !… elle est morte !…

— Non, dit Nanette, en posant sa main sur le cœur de la jeune fille, le cœur bat encore, faiblement il est vrai, mais il bat.

L’Indien avait retrouvé son calme habituel.

— Donnez-moi un peu d’eau et une cuillère, dit-il. Je vais essayer de faire cesser cette syncope.

Nanette lui présenta un verre d’eau. Bob y jeta quelques racines retirées de sa poche, et attendit. Bientôt l’eau se colora d’un rose pâle. Alors Bob, aidé par Nanette, en fit avaler quelques gouttes à la jeune fille.

Puis, tombant à genoux, il cacha sa tête dans ses mains.

— Vous ne permettrez pas qu’elle meure, mon Dieu ! s’écria-t-il, elle est trop jeune, trop belle et trop aimée pour mourir ! Ah ! prenez ma vie, moi qui ne suis la première affection de personne. Sauvez-la, et je jure de me consacrer aux missions.

Les sons déchirants de cette voix avaient tiré la jeune fille de son sommeil de mort. Elle ouvrit les yeux, et sourit à la figure baignée de larmes qui se penchait vers elle.

— Je vous attendais, dit-elle d’une voix faible.

— Ne parlez pas, buvez plutôt, dit Bob en présentant le verre à la malade. Celle-ci but docilement, et murmura : « Odette ?… »

— Odette est heureuse, et je vous conduirai près d’elle. Pour cela, il faut être docile. Avez-vous du vin ici, Nanette ?