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LES FANTÔMES BLANCS

Et comme Marguerite secouait la tête d’un air incrédule, le jeune homme lui fit part de ses soupçons concernant le chef de bandit ; il lui raconta la visite de Tape-à-l’œil, et la certitude exprimée par le vieux matelot que le pirate, voyant l’affaire manquée, pourrait la reprendre pour son propre compte.

— C’est une affaire de chantage, conclut Harry, il s’agit d’attendre. Georges est en mesure de payer une forte rançon. Au printemps, nous les verrons arriver sains et saufs.

— Mais elle, ma petit sœur, parmi ces bandits ?…

— Soyez tranquille, ils doivent être traités en prisonniers de marque. Et puis la servante de Georges est partie avec eux.

— Cela me rassure un peu… Mais vous, dit Marguerite en s’adressant à Mme Jordan, vous qui étiez l’amie de ma mère, croyez-vous que M. de Villarnay soit un homme d’honneur ?

— Oui, ma chérie, répondit Mme Jordan avec conviction. Ce jeune homme a passé deux mois sous notre toit. Je puis te certifier que ce n’est pas seulement de figure qu’il ressemble à Paul, mais de cœur aussi.

— Moi aussi, je puis te le certifier, dit Lilian. J’ai retrouvé chez ce jeune homme, toutes les délicatesses et les aspirations généreuses de notre cher disparu.

— Assez d’émotions comme cela, dit Harry en s’avançant. À demain, chère petite fiancée ; nous allons tous prier pour que Dieu nous rende bientôt notre petite sœur.

Après le départ du jeune officier, Lilian conduisit Marguerite dans la chambre qu’elle partageait avec elle. Maggy les attendait, elle vint embrasser Marguerite.

— J’ai voulu féliciter, dès ce soir, la fiancée de mon cher « boy », dit-elle. Bonne nuit mes chéries.

— Bonne nuit, chère vieille amie, ne nous oubliez pas dans vos prières.

— Vous n’êtes jamais loin de mon esprit, répondit l’Irlandaise. Et elle s’éloigna.

Lilian causa longtemps avec son amie. Pour la première fois, elle lui fit part de ses projets d’avenir, lui raconta son court roman d’amour, hélas ! brisé par la mort de son fiancée. Marguerite l’écoutait en silence ; ainsi, elle avait souffert ce martyre, cette Lily si calme sous sa gaieté sérieuse, et Georges l’avait consolée, il avait plaidé sa cause. Ses amies avaient raison ; elle ne douterait plus. Bientôt, bercée par les douces paroles de Lilian, elle s’endormit.


CHAPITRE VII
TRISTE RETOUR.


Plusieurs semaines s’écoulèrent encore. Marguerite, complètement rétablie, travaillait avec Lilian qui préparait son trousseau pour le couvent.

M. Jordan, qui suivait les travailleuses d’un œil un peu inquiet, dit un jour à Lilian :

— Marguerite travaille beaucoup pour toi, Lily, mais c’est à charge de revanche ; il faudra que tu lui aides aussi.

— Je ne demande pas mieux, cher oncle, répondit la jeune fille en riant. Mais savez-vous que ce ne sera plus un trousseau de nonnette que nous aurons à confectionner ?

— Sois sans inquiétude, dit à son tour Mme Jordan, je me charge des emplettes à faire.

— Nous avons le temps, bonne amie, dit Marguerite. Je ne puis songer au mariage, aux toilettes, tant que je serai dans l’incertitude sur le sort de ma sœur. Comment pourrais-je m’occuper de ces choses, avec l’idée que ma pauvre Odette souffre peut-être loin de moi ?

Harry, informé par sa tante de la résolution de la jeune fille, la supplia de changer d’avis.

— Je suis désolée de vous faire de la peine, mon ami, mais je vous supplie de ne pas insister. D’ailleurs, cette situation ne peut s’éterniser. Trois personnes ne disparaissent pas ainsi sans laisser de traces.

Au même moment, Maggy vint dire qu’un homme de la campagne désirait parler à M. Jordan.

— Faites-le entrer, dit celui-ci.

Un vieillard entra ; il tendit une lettre. M. Jordan la prit et la parcourut rapidement :

— C’est de Nanette, dit-il. Voici ce qu’elle contient, monsieur :

« Si Marguerite n’est pas malade, dites-lui que je la conjure de venir au plus tôt. Madame n’en a pas pour longtemps à vivre, et je ne sais où donner la tête. Venez, ma petite chérie, consoler votre pauvre Nanette. »

Cette lettre, incohérente, était presqu’illisible. Nul doute, la pauvre vieille avait dû l’écrire en pleurant.

— Qui vous a donné cette lettre ? demanda M. Jordan.

— C’est mam’zellé Nanette elle-même. Ma fille Françoise est engagée là. La dame a eu une attaque d’aploplexie et comme Nanette s’tirait les ch’veux, M. le curé lui a dit d’aller quérir la demoiselle.

— Vous allez retourner, mon ami, et dire à Nanette que je conduirai moi-même, Mlle Merville.

— Ma pauvre Nanette ! dit Marguerite, comme elle doit se désoler, toute seule avec une mourante et des étrangers, là-bas, dans ce coin perdu. Nous allons partir tout de suite, n’est-ce pas, bon ami ?

— Pas ce soir, ma petite. La traversée du fleuve est difficile, il vaut mieux attendre le jour.

— Comme tu vas nous manquer, mignonne, dit Mme Jordan, et quels ennuis t’attendent encore.

— J’aurai l’espérance de vous revoir, la joie d’être utile et, peut-être, de sauver une âme. Dieu est si bon ! Et puis, ajouta la jeune fille en posant sa main sur le bras de son fiancé, vous viendrez me voir, Harry, toutes les fois que votre service le permettra. Ah ! si nous avions des nouvelles…

Le jeune officier soupira ; il ne savait plus que dire, occupé qu’il était par un doute, à mesure que le temps se faisait plus long sur ces disparitions mystérieuses.

On partit, le lendemain, par une belle matinée d’hiver. Le voyage fut rapide, le soleil n’était pas encore couché, lorsque les premières maisons de St-Thomas apparurent aux regards des voyageurs.

Le soleil, sur son déclin, incendiait les vitraux de la petite église, et faisait briller, comme