Page:Rochefort - Les fantômes blancs, 1923.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
LES FANTÔMES BLANCS

On procéda au déchargement du navire, et trois jours plus tard, nous disions adieux à nos camarades qui ramenaient le navire en France.

Nous partîmes, le capitaine et moi, avec une escouade de 15 hommes pour commencer nos préparatifs d’hivernage. Ce fut la nuit que nous abordâmes à la côte sud.

En mettant le pied sur la terre ferme, nous nous trouvâmes en présence d’un individu armé d’un fusil, qui paraissait nous attendre.

À la pâle lueur des étoiles, je reconnus Bob l’Indien :

— Quelle heureuse rencontre ! ami Bob, dis-je en lui serrant la main ; c’est un bon présage pour le succès de notre entreprise…

— Et vous pouvez nous donner des nouvelles de M. de Villarnay ? demanda le capitaine.

— Je l’ai laissé à St-Thomas, au mois de mai dernier ; il devait se fixer là.

— Vous allez venir avec nous, Bob, lui dis-je. Votre connaissance du pays nous sera très utile.

Bob resta un instant silencieux, puis s’adressant au capitaine :

— Connaissez-vous la côte sud ? dit-il.

— Oui. un peu, j’ai déjà chassé dans les montagnes, au sud de St-Thomas. C’est de ce côté que je veux m’établir avec ma troupe. Nous avons besoin d’un guide sûr et discret : Voulez-vous être cet homme, Bob ?

L’Indien serra la main du capitaine :

— J’accepte, dit-il. Je connais tout le pays à plusieurs lieues à la ronde, et j’ai l’habitude de le parcourir. Personne ne songera donc à suspecter mes démarches.

Bob prit la tête de la troupe. Tout en marchant, je lui dis qu’il serait notre capitaine pour l’hiver.

— Alors nous serons ensemble, comme avant la guerre ! dit-il tout joyeux.

Ce ne fut qu’après 24 heures de marche fatigante que nous atteignîmes l’endroit que nous jugeâmes le plus convenable pour un campement d’hiver. Nos hommes se mirent à l’œuvre, et à l’heure où je te parle, on met la dernière main à deux coquettes cabanes en troncs d’arbres, dont quelques-uns ont encore leurs branches. Tout se trouve sur la berge d’une petite rivière murmurante, que j’ai baptisée la rivière du « Retour » : car c’est de là que nous partirons pour revoir les nôtres. Nous allons garder dix hommes avec nous ; les autres vont retourner dans l’île avec le capitaine. Lorsque nos chasseurs auront une charge de fourrures suffisante, ils se rendront, sous la conduite de Bob, au Cap St-Ignace. C’est là que nos compagnons de l’île viendront les rejoindre et apporter des provisions. »

— Maintenant, ajouta Philippe, prépare-toi mon bon : Bob et Corentin nous attendent. Je viens chercher le futur capitaine des « Chasseurs du Roi », conclut de Seilhac avec un éclat de rire.


CHAPITRE V
LA VOLONTÉ D’ODETTE.


Georges de Villarnay avait écouté ce long récit en silence. La perspective de revoir son pays le comblait de joie, mais Odette ?… Allait-il l’abandonner au moment où il était sûr de la guérir ?…

— Tu viens me chercher, dit-il enfin, mais tu me donneras bien le temps de mettre cette enfant en sûreté.

— Ne peux-tu charger un autre de ce soin ? Ce serait très facile.

Georges ne répondit pas. Philippe se rapprocha de lui.

— Voyons, mon ami, dit-il, Il faut prendre une décision. L’heure s’avance et nous devons être loin d’ici demain. Je comprends qu’il t’en coûte de quitter cette enfant. Mais nous sommes liés par un serment… Tu pleures !… L’aimerais-tu cette malheureuse ?…

— Oui, je l’aime, et j’ai la certitude de la guérir ; mais pour cela, ma présence est nécessaire. La quitter, c’est la condamner à l’inconscience pour le reste de ses jours ! Tu comprends mon désespoir !…

— Il y un moyen bien simple de tout concilier : Emmène-là !

— L’emmener ? mais c’est impossible…

— Pourquoi impossible ? dit une voix douce à l’oreille de Georges, tandis que deux bras frêles entouraient son cou. Tu m’as dit, hier, que tu me conduirais chez nos amis, et tu veux partir ? Me laisser seule ici ?…

— Tu ne seras pas seule, petite Odette, Manette et Angèle te restent ; elles te conduiront à Québec.

— Et je ne veux pas te quitter, moi ! Lorsque tu ne seras plus là, tu sais ce bandeau de fer que tu as enlevé de mon front ! Eh bien ! il reviendra…

— Mais je ne puis t’emmener, chérie, dit Georges au supplice. Songe donc… il n’y a pas de femmes là où je vais. L’enfant eut un beau sourire ; elle se tourna vers Philippe.

— C’est vous, monsieur, qui venez chercher Paul ?

— Oui, mademoiselle.

— Alors, vous allez me permettre de vous suivre, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle en posant sa main fine sur le bras du jeune officier.

— Je ne demande pas mieux, si cette bonne fille consent à venir avec nous ?

Odette prit les deux mains d’Angèle.

— Vous voulez bien, ma bonne ? dit-elle.

La vieille fille mit un baiser sur le beau visage penché vers elle.

— Je vous suivrai au bout du monde, ma chère petite, dit-elle.

Le jeune docteur causait à voix basse avec de Seilhac.

— On a enlevé Marguerite, la nuit dernière ; si je disparaissais cette nuit avec Odette, que va-t-on penser ?

— On pensera ce que l’on voudra, bagasse ! Vas-tu t’occuper des gens maintenant ?… L’essentiel, c’est de se rendre là-bas, et de ne pas faire pleurer cette enfant. Préparez-vous, mademoiselle Odette, j’ai décidé… Paul, nous allons partir.

La jeune fille serra la main de Philippe :

— Merci, dit-elle, je vous aimerai bien.

Puis elle vint s’appuyer sur l’épaule de celui qu’elle prenait pour son frère :

— Tu n’es pas fâché, dis Paul ?