d’une mère sont toutes puissantes sur le cœur de Dieu.
Il allait se retirer lorsque ma tante lui dit en me désignant :
— Vous n’avez pas reconnu monsieur ?
Le religieux leva les yeux sur moi, et un cri, où se confondaient la douleur et la honte, s’échappa de ses lèvres, pendant qu’il tombait à genoux.
— Pardon ! s’écria-t-il en tendant ses mains tremblantes, que j’entende ce mot qu’on écrit dans le ciel !… Monsieur de Seilhac, dites que vous me pardonnez…
Je lui pris la main : je crus toucher la main d’un squelette. Une grande pitié me saisit.
— Dieu vous a pardonné, dis-je. Je vous pardonne en mon nom et en celui de Georges. Soyez en paix…
Une expression de joie profonde se peignit sur le visage du malheureux marquis.
— Merci, s’écriait-il avec feu. Ah ! à présent, je suis sûr du succès.
— Je l’espère, dit la comtesse ; adieu, mon père, nos vœux et nos prières vous suivront sur la route de Paris.
Nous revînmes au château et plusieurs jours se passèrent dans des alternatives de crainte et d’espérance. Enfin, un soir, on annonça le père François. À l’éclat fébrile qui animait ses yeux, nous devinâmes qu’il était porteur d’une bonne nouvelle.
— Voici un sauf-conduit qui vous permettra de vous rendre à la cour, dit-il en me tendant une large enveloppe. M. de Choiseul désire vous voir.
— Est-ce pour me donner des lettres de grâce, ou pour me faire enfermer à la Bastille ? demandai-je.
— Mon regard exprimait peut-être cette pensée, lorsque je reçus cette enveloppe des mains de M. de Choiseul, car il me dit en riant : « Rassure-toi Gontran, les braves qui ont si vaillamment combattu pour la France, ont droit à toute la clémence royale. »
Le père François nous quitta après avoir reçu nos remerciements sincères.
— Priez pour un pauvre pécheur ! dit-il en s’en allant.
« Je partis le lendemain, continua de Seilhac. Mon voyage fut rapide. Aussitôt arrivé à Paris, je ne pris que le temps de secouer la poussière du voyage et je me rendis à la Cour.
Après quelques instants d’attente, je fus introduit dans le cabinet de travail où l’homme d’État, assis devant un bureau chargé de papiers, paraissait prendre des notes.
Il leva la tête en entendant prononcer mon nom, puis un sourire éclaira sa figure sévère : — Je m’occupais de vous, monsieur de Seilhac, dit-il en m’indiquant un siège. Avant la guerre, qui vient de se terminer d’une façon désastreuse pour nous, j’avais formé le projet d’une compagnie à l’effet d’exploiter les richesses des forêts. Ce projet, un brave marin me propose de le réaliser pour lui-même. J’ai décidé que vous et M. de Villarnay fassiez partie de cette compagnie. Vous devez bien cela au capitaine Levaillant, qui m’a fait les plus grands éloges de votre conduite là-bas… Vous avez des amis bien dévoués, M. de Seilhac, acheva M. de Choiseul avec un sourire un peu railleur. Et sans me donner le temps de répondre, il donna l’ordre d’introduire le capitaine Levaillant. Le capitaine entra, suivi de M. de Vaudreuil. Ils vinrent tous deux me serrer la main.
— Vous avez insisté pour obtenir la grâce de messieurs de Seilhac et de Villarney, leur dit M. de Choiseul. Cette grâce est accordée sous certaines conditions. À partir de ce moment, ils font tous deux partie de votre compagnie, capitaine. À vous de décider en quelle qualité. Vous vous rappelez, capitaine, que je n’ai pas permis ce voyage ; vous avez fait revivre un projet abandonné, voilà tout.
— C’est entendu, monsieur le duc, dit le capitaine. Je vais partir demain pour Cherbourg, où mon navire m’attend. Je nomme M. de Villarnay capitaine et M. de Seilhac lieutenant de ma compagnie, s’ils veulent bien y consentir.
— Ils ne refuseront pas ; car leur grâce est à ce prix, répliqua M. de Choiseul. Adieu messieurs et bon succès !
À peine étions-nous sortis que Levaillant introduisait dans la bouche une énorme chique de tabac.
— Vous espériez mieux, dit-il avec un gros rire. On lui a forcé la main, voyez-vous ! c’est pour cela que les conditions sont si dures. J’ai l’ordre de ne pas vous laisser communiquer avec personne en dehors des hommes de ma compagnie.
— Nous serons vos prisonniers, alors ! dis-je en riant. J’en suis ravi, capitaine ! d’autant plus qu’un hiver ne dure pas toujours, même au Canada… Maintenant, je vais envoyer un exprès au château de Villarnay. Où vous retrouverai-je ?
— Rue de Vaugirard, 5.
Une heure plus tard, nous galopions sur la route de Cherbourg.
Notre traversée s’accomplit sans incident remarquable. Il y a 15 jours, nous jetions l’ancre près d’une île qui se trouve presqu’en face du Cap St-Ignace.
— C’est ici notre première étape, me dit Levaillant. Venez visiter nos futurs magasins.
Je le suivis jusqu’au pied d’un arbre gigantesque dont les branches, dépouillées de leurs feuilles, semblaient des bras de géants prêts à nous saisir.
Le capitaine souleva une pierre à demi cachée par les broussailles et une échelle apparut à nos regards. Cet échelle nous conduisit dans une espèce de caserne, dont une grande partie était l’ouvrage de la nature.
— Nous serons très bien ici, dis-je au capitaine, pourvu que les Anglais ne nous découvrent pas.
Le capitaine se mit à rire :
— Soyez tranquille ; personne ne connaît l’existence de ce souterrain. C’est moi qui l’ai découvert en me promenant dans l’île, pendant que mes hommes renouvelaient notre provision d’eau douce. Prévoyant que cela pourrait me servir plus tard, je fis boucher l’entrée naturelle, trop visible, et pratiquer celle-ci.