Page:Rochefort - Les fantômes blancs, 1923.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
LES FANTÔMES BLANCS



Lilian, un peu plus âgée qu’Odette, avait gardé sa chevelure dorée et la transparence de son teint de lys, mais depuis la guerre, les grands yeux bleus si rieurs semblaient s’être voilés sous la pensée d’une tristesse mystérieuse. Les roses de ses joues s’étaient effacés, et Georges, qui se rappelait ce que Paul Merville lui racontait de la petite Lily, se demandait si quelque grande douleur n’avait pas traversé la vie de cette jeune fille, en imprimant à son front ce cachet de tristesse qui étonne toujours chez les êtres jeunes, car il semble le partage exclusif de ceux qui ont vécu.

M. et Mme Jordan connaissaient une partie de l’histoire de Georges ; cependant, ils leur restaient beaucoup de choses à apprendre. Le jeune homme leur fit un récit fidèle des événements qui s’étaient écoulés jusqu’à la fatale blessure qui l’avait jeté, mourant, sur le champ de bataille.

— Je vous plains, mon jeune ami, dit M. Jordan, car votre jeune vie a connu plus d’épreuves qu’il ne s’en rencontre ordinairement dans une longue carrière. Espérons que l’avenir vous réserve de meilleurs jours. En attendant, je vous prie de considérer ma maison comme la vôtre.

— Oui, appuya Harry, comme mon service m’empêche de venir ici aussi souvent que je le voudrais, vous me remplacerez auprès de mon oncle et de ma tante et vous serez un autre Harry pour ma petite Lily.

— Alors, M. de Villarnay sera mon frère Georges : le voulez-vous, monsieur ? dit Lilian en tendant sa main blanche.

— Oui, ma sœur Lily, murmura le jeune homme en appuyant ses lèvres sur cette main d’enfant.

Maggy vint annoncer que le souper était servi. En apercevant Georges, elle vint droit à lui, et, avec cette familiarité de vieille domestique auquelle tout est permis, elle lui tendit la main.

— Vous me permettrez de vous gâter un peu, monsieur, dit-elle, vous ressemblez tant à notre Paul.

— De bon cœur, ma chère Maggy, dit Georges en serrant la main de la brave fille.

On se mit à table, et la conversation roula sur la France, la patrie toujours regrettée.

— J’avais quitté mon pays pour veiller sur deux orphelines, dit M. Jordan, mais au moment où mon appui leur aurait été nécessaire, la maladie m’a terrassé, me laissant sans force pendant de longs mois.

— Vous n’auriez pas été plus heureux que moi, dit Georges. Et il fit le récit de sa tentative auprès de Mme Merville.

— Cette femme est d’une astuce épouvantable, je me demande où elle a bien pu se réfugier. Notre ami Bob a visité la plupart des villages qui environnent Québec sans rien découvrir.

— Elle est peut-être allé rejoindre son complice, dit Mme Jordan.